Pleyel queue 1830

Piano à queue PLEYEL 1830 !

Il est considéré comme l’un des modèles phare du musée, surtout par les professionnels. Le visiteur lambda, lui, ne le remarquera pas, noyé qu’il est dans la rangée uniforme des pianos à queues du XIXè siècle. Il me plait aujourd’hui d’évoquer ce sympathique piano, ne serait-ce, que par son ancienneté au musée. C’est en effet un des premiers que ‘’Papa’’ Chenaud, Président fondateur de l’AFARP (devenue depuis Europianofrance) dégota et mit aux abris dans les années 50-60. Il fit donc partie de ce premier convoi d’une dizaine de pièces qui, bourlinguera plus tard, d’Evreux à Alès, en passant par Le Mans, pour enfin atterrir à Limoux. Ce lieu, il l’appelait de ses vœux mais il ne connaîtra jamais, c’était son futur ‘’Musée de la Rétrospective’’.

Ce n° 1559 de la maison Pleyel lui avait tapé dans l’œil. Il est vrai qu’on ne tombe pas tous les jours sur un numéro de la série mille de la célèbre maison. Modèle de concert de l’époque, il paraît bien petit par rapport à nos productions modernes qui avoisinent les 3 mètres. Il se contente d’un modeste 2m43, mais cela suffisait pour remplir de sa somptueuse sonorité les salons Louis Philippe de la Monarchie de Juillet.

On le trouve dans les premières pages disponibles des archives Pleyel et il a été vendu en mai 1831.

Le cartouche donne les indications Ignace Pleyel et Cie (société créée en 1829) et médaille d’or (de 1827, à l’exposition publique des produits de l’industrie française). La seconde, obtenue en 1834, ne figure pas ici.

C’est un pur jus de cette période qu’on évoque si souvent, celle, d’après les puristes, où notre instrument est abouti et n’a plus rien à prouver. Pas faux, dirons-nous, au vu de tout ce qui avait été inventé, testé et breveté jusque là : nous avons déjà les composants et les principes de base de notre piano moderne : des mécaniques élaborées (à simple ou double échappement), le cadre métallique, le principe des cordes croisées, la standardisation de la tessiture, le feutre pour les têtes de marteaux, les deux pédales essentielles, forte et douce, etc… Et quand je dis ‘’pur jus’’ en parlant de celui-ci, je ne me trompe pas car il se présente comme au premier jour, dans ses équipements et matériaux d’origine. Jean-Claude Battault, notre collègue du Musée de la Musique à Paris, l’a bien vu et s’y est intéressé de suite car il se trouve qu’il a le même à quatre numéros près (le n° 1555) dans ses murs. Ce dernier a cependant été restauré au milieu du siècle dernier… Au-delà de la forte probabilité que ces deux instruments se soient croisés dans les ateliers de la rue Cadet, il est quasiment sûr qu’ils étaient équipés des mêmes matériaux, feutres, cordes, ferrures, accastillages, etc… Jean-Claude est donc venu à Limoux pour procéder à quelques prélèvements aux fins de recherches plus poussées dans son laboratoire parisien (pièces mécaniques, feutres, peaux)

André Chenaud écrivait : ‘’Ce piano fait partie de la première série qui a reçu un abattant de clavier de forme cylindrique en remplacement des tablettes utilisées jusqu’alors. Le terme de cylindre restera jusqu’à nos jours pour désigner cet élément du meuble’’ (le mot couvercle était déjà pris pour désigner le dessus du piano). Avant de retirer ce cylindre, il faut d’abord prélever la planche d’adresse qui est tenue par deux vis ornementales sur deux pattes en bois, elles mêmes fixées sur les blocs (voir la photo de la marque). Le cylindre bascule vers l’arrière pour se cacher au-delà de cet élément. Sa forme est assez simpliste, un parfait quart de rond, pas de double galbe. Il est donc moins élégant que nos cylindres modernes.

Le meuble est plaqué en acajou et palissandre, la queue est carrée, d’où sa désignation exacte de piano à queue en forme de clavecin. Dimensions : L = 243 cm ; l = 126 cm ; h = 94 cm. Ces références au clavecin sont courantes dans les archives de l’époque (devant carré, devant coupé, forme carrée). Pour mieux comprendre, observez la photo sur la forme du piano : la queue est carrée (comme son voisin de gauche, un Erard), et le ‘’devant coupé’’ se voit très bien. Les oreilles (c’est le nom donné à cette partie du meuble) sont deux découpes à angle droit de part et d’autre du clavier. Petit à petit, ce coin s’enjolivera dans sa forme et ses fioritures. Comme expliqué ci-avant, vous ne voyez pas le cylindre : il a basculé pour se cacher derrière la planche d’adresse. Toujours en comparaison avec le clavecin : les cordes basses et médium sont accrochées à des pointes fichées dans une contre éclisse en bois dur le long de la courbure de la caisse et le fond carré.

Pour les cordes aiguës, c’est autre chose : les pointes d’accroche sont sur du métal, sur  la structure harmonique. Celle-ci parait assez légère au premier abord. Une plaque de métal en demi-lune (le sommier prolongé) et trois barres de métal soutiennent la tension des cordes les plus fines comme vous pouvez le voir sur la photo suivante. Il faudra ensuite aller voir sous l’instrument pour découvrir d’autres barres métalliques : il y en a sept, elles forment une armature rigide (photo armature métallique du dessous)

La tension totale de cette structure est toutefois très (trop) importante car on voit à l’œil nu, surtout depuis l’arrière, que la caisse est voilée, elle est s’est mise en ‘’hélice d’avion’’.  On le voit particulièrement bien sur la photo de l’arrière du piano avec le pied penché. A noter que la tension des cordes doit représenter sur un tel instrument (en état de jeu), une dizaine de tonnes (il faut compter quasiment le double sur nos pianos modernes).

Au dessus du plan de cordes est posée une fausse table en résineux (photo suivante) Elle servait à amoindrir la force de son en fonction du répertoire joué.

Voyons maintenant la mécanique, en observant au passage les chevilles d’accord plates et les étouffoirs dits chapeaux de gendarme (ils sont garnis de peau dans les basses, de drap ailleurs). Les tiges d’étouffoir sont de simples bâtonnets en bois léger. Ils coulissent librement, leur course est stoppée en haut par une barre de butée en bois garnie de feutre : c’est le chapiteau d’étouffoirs, là aussi un principe hérité du clavecin. (photo des chevilles et étouffoirs)

La mécanique est précise et complète. Il s’agit d’une mécanique dite à peigne comme on peut l’observer sur la photo.  Les marteaux sont en feutre. Le système est celui de l’échappement anglais, appelé aussi simple échappement. Pleyel y sera longtemps fidèle, une façon comme une autre de se démarquer de son grand concurrent Erard qui avait breveté son double échappement une dizaine d’années auparavant. Les touchers sont évidemment différents, du grain à moudre pour les pianistes qui entretenaient par leurs retours la publicité de chaque maison. Je ne vais pas épiloguer là-dessus mais juste vous renvoyer aux nombreux ouvrages relatant les fameuses joutes musicales du moment. On pense bien sûr aux fameux duels Liszt-Chopin.

L’instrument mérite malgré tout une sérieuse réparation. La table d’harmonie est à refaire entièrement, elle est décollée et fendue en plusieurs endroits et la photo est édifiante. De ne pouvoir l’entendre sonner correctement sera mon seul regret. On peut voir de nombreux modèles, similaires ou très approchants, en tout cas de la même période, sur le Net.

Dernière photo celle de la poignée de fermeture du couvercle.

Jean Jacques Trinques

Piano queue Pleyel
N° 1 559
Année  1830
Meuble Palisandre
Particularité : CC-f4, 78 notes, Mécanique à échappement simple,
N° d’inventaire E.1
Pleyel scolaire n°17

Le Pleyel scolaire n° 17

Le piano scolaire, instrument de petite dimension, est dédié aux commençants comme à ceux qui veulent répéter des passages difficiles, sans causer de dommages aux grands pianos ; léger, par conséquent facile à transporter, d’une extrême solidité, le piano scolaire rendra de grands services aux familles dans lesquelles on procède à l’étude du piano…en vente chez Pleyel, rue Rochechouart, 22…
(Revue mondaine illustrée, 1892/01).

Pleyel scolaire n°17

Il porte le n°17

Jetons aujourd’hui un coup de projecteur sur ce petit piano des années 1890. Le Pleyel scolaire de Limoux fut, grâce à notre collègue Philippe Jeunier, un des premiers du musée. Instrument à la destination particulière s’il en est (il se reconnait à sa petite taille : 110 x 55 x 104 cm), il a retenu tout de suite mon attention : le cadre est auto-porteur, il soutient donc à lui seul tous les éléments du meuble et de la structure harmonique.
Il porte le numéro 17. Une première approche nous montre un meuble merisier clair, je dirais trop clair pour être honnête : un bon décapage l’a en effet débarrassé de l’austère teinte foncée en vigueur en cette fin de siècle, teinte dont on peut avoir un petit aperçu en observant le cartouche. Pour en terminer avec les anachronismes, on passera rapidement sur les flambeaux.

Pleyel scolaire n°17 - De gros boulons

De gros boulons

Les deux côtés du meuble sont donc fixés au cadre via de gros boulons qu’on peut voir en haut et en bas à l’extérieur. Dessus s’articulent tous les autres éléments, comme sur un piano normal. C’est là que nous constatons, et cela est assez rare pour être signalé, qu’aucun morceau de ce meuble n’est collé (hormis les patins qui supportent les consoles). Le couvercle est articulé sur l’arrière par une charnière montée sur une planchette à glissière. En le saisissant des deux mains de part et d’autre et en tirant vers le haut, on l’enlève en un clin d’œil.
La structure harmonique est à cordes parallèles, avec un cadre en fonte pleine non tourillonnée, peint en marron foncé. La mécanique à baïonnettes, tout à fait normale, avec ses étouffoirs bridés, a ses marteaux montés sur peignes : on reconnaît sans difficulté la fabrication maison. Clavier ivoire/ébène 61 notes, 5 octaves de do à do. Il n’y a pas d’unicordes (32 doubles, le reste en triples). Une seule pédale (forte) et une sourdine manuelle actionnée par une barre en bois articulée sous le plateau de clavier.

Pleyel scolaire n°17 - pas de barrage

Pas de barrage

Au dos, pas de barrage. Le sommier et la table d’harmonie (non barrée) sont boulonnés sur le cadre et donc démontables pour toutes réparations (après avoir enlevé les cordes, évidemment). 13 boulons pour le sommier, 34 pour la table.
Pleyel s’est inspiré de ce modèle pour concevoir un instrument similaire : le piano pour compositeur. Les principales modifications concernaient la caisse, par l’addition d’un porte-encre, d’un porte-lumière et d’un porte-musique, les consoles étaient vides pour le rangement de partitions. Une deuxième pédale (douce) était disponible en option, un supplément au coût plutôt dissuasif (il équivalait environ au quart du prix de l’instrument).

Jean-Jacques Trinques

Le piano girafe

La forme du piano droit que nous pratiquons aujourd’hui nous parait tout à fait banale, nous le connaissons par cœur, c’est notre pain quotidien. On peut situer l’aboutissement de cet instrument dans les années 1820/1830, après moult inventions, perfectionnements, dispositions et élucubrations diverses, dont le piano girafe.

Le piano girafe de Limoux
[av_dropcap1]S[/av_dropcap1]achons, pour faire simple, que la ‘’verticalisation’’ du piano, bien qu’abordée très tôt (vers 1740, Italie, Allemagne), ne s’affirmera qu’au passage du siècle suivant. Au départ certainement inspiré du clavicytherium (à cordes pincées), cette disposition montrera — fallait-il y penser— un queue verticalisée et posée sur quatre pieds, principe que les anglais reprendront vers la fin du siècle. Puis l’américain Hawkins et le viennois Muller imagineront simultanément en 1800 de combler l’espace laissé libre sous le clavier : la base de notre piano droit prenait forme. Mais au dessus ce fut une autre paire de manches. Voici venu le temps des spectaculaires pianos-cabinet, secrétaire, armoire, lyre, pyramidal, harpe, etc… et surtout le girafe, qui n’est pas le moins élégant ni le moins répandu. Il sera fabriqué jusque vers 1850, une vie qu’on peut toutefois qualifier d’éphémère car il n’aurait été inventé qu’en 1798.

 

Coupe de ce mécanisme (d’après le Harding, The pianoforte, page 233).

Le piano girafe de Limoux est un classique du genre. Plutôt sobre dans ses lignes (H : 225 cm, plaquage de noyer fil ciré), il n’arbore aucune cariatide, pas un bronze ou médaillon, aucun décor subtil, marqueterie ou frisage. Pas de marque, également, aucune indication d’origine (je parierais pour un autrichien des années 1830).
Sitôt enlevé le grand panneau du haut, l’intérieur dévoile un champ de bataille qui pourrait occuper pendant de longs mois une escouade d’accordeurs-réparateurs. La mécanique (viennoise) est située sous la ligne du clavier (tessiture 6 oct ½, do à sol). Les cordes, ou plutôt ce qu’il en reste, ne donnent plus le moindre son depuis des lustres. Les têtes des marteaux sont garnies de trois bandes de mince peau blanche, une plus épaisse de peau foncée et enfin une de feutre blanc.

(Condensé d’un article paru dans la revue Pianistik n°96, décembre 2012)